O Prof Farlei Martins envia-nos essa matéria do Le Monde sobre a reforma do processo penal na França.
Point de vue
Le parquet, enjeu de la réforme pénale, par Mireille Delmas-Marty
LE MONDE | 25.05.09 | 14h13 • Mis à jour le 25.05.09 | 14h13
Né en 1808, avec le code d'instruction criminelle, le juge d'instruction fut
longtemps la figure emblématique du procès pénal, car la phase de
l'instruction, située entre la découverte de l'infraction et le renvoi en
jugement, déterminait bien souvent l'issue du procès. Chargé de l'enquête
comme un policier - d'ailleurs qualifié alors d'officier de police
judiciaire et placé sous la tutelle du parquet -, le juge d'instruction
était néanmoins juge et pouvait utiliser tous moyens de contrainte, y
compris la détention. A cette époque, où 40 % des affaires pénales étaient
instruites par lui, il passait pour l'homme le plus puissant de France.
Or, aujourd'hui, 96 % des affaires lui échappent. Est-ce à dire que les
affaires pénales, devenues plus simples, seraient d'emblée en état d'être
jugées sans investigations préalables ? A l'heure de la mondialisation, de
la délinquance financière et des grands trafics internationaux, cela semble
peu vraisemblable.
Alors, comment a-t-on pu en arriver là ? C'est une longue histoire, qui
remonte à l'entrée de l'avocat dans le cabinet du juge d'instruction (1897)
: à mesure que l'instruction devient de plus en plus "contradictoire",
l'enquête menée par la police sous la direction du parquet, et sans
participation de l'avocat, prend une importance croissante. D'abord
officieuse, puis légalisée par le code de procédure pénale en 1958 sous le
nom d'"enquête préliminaire", la formule permet au parquet (qui perd à la
même date le pouvoir de choisir le juge) de renvoyer directement une affaire
en jugement sans instruction par un juge.
On découvrira ainsi peu à peu que plus l'instruction se judiciarise,
conformément aux principes constitutionnels et européens, plus les voies
parallèles se développent, au détriment de l'instruction qui passe en 1960 à
20 % des affaires pénales, puis à 8 % en 1989, et à 4 % en 2009. Dans le
cadre de la Commission justice pénale et droits de l'homme, nous avions noté
dès 1990 ce paradoxe, soulignant qu'une réforme d'ensemble était devenue
nécessaire.
Nous indiquions plus précisément deux raisons. D'une part, l'incompatibilité
des fonctions de ce juge à deux visages, qui doit, comme enquêteur, faire
des hypothèses sur la culpabilité et l'innocence, mais qui est supposé
redevenir impartial pour prendre des décisions juridictionnelles (à
commencer par la détention provisoire) et décider le renvoi en jugement.
D'autre part, la confusion des pouvoirs entre le parquet et le juge. Nous
mettions alors en garde le législateur contre les effets pervers de
l'accumulation de réformes partielles, ajoutant de nouvelles règles qui ne
s'accompagnent ni des moyens adéquats ni d'une réflexion d'ensemble sur la
cohérence du système pénal : "Ce rapiéçage, parfois même ce bégaiement
législatif, paraît irréaliste et néfaste."
Vaine mise en garde, car l'accumulation continua, à raison de deux lois en
1993, puis de nouveaux textes presque chaque année. La seule réforme
d'ensemble (loi du 15 juin 2000) aura été aussitôt affaiblie par la même
majorité (lois du 15 novembre 2001 et 4 mars 2002), puis par la nouvelle
majorité élue en 2002 (lois 2004, 2006, 2007...).
En elle-même, l'annonce d'une réforme d'ensemble par le président de la
République, puis par le rapport d'étape du comité Léger, est donc une bonne
nouvelle. A condition de ne se tromper ni sur le diagnostic ni sur le
traitement.
Pourquoi réformer ? Les raisons d'une réforme d'ensemble sont plus actuelles
que jamais, mais il faut tenir compte de ce qui a changé, dans les textes et
les pratiques, depuis vingt ans. Un effort de clarification est venu de
l'inscription, en tête du code de procédure pénale, d'un article
préliminaire qui énonce les principes directeurs du procès pénal (loi 2000)
en commençant par la procédure équitable et "contradictoire", confirmant
ainsi le dépassement du vieux clivage qui opposait la procédure
inquisitoire, menée par un enquêteur public, à la forme accusatoire, menée
par les parties, au profit d'une conception mixte. En revanche, les
principaux problèmes repérés en 1990 sont inégalement résolus. Pour trois
raisons.
Premier constat : l'incompatibilité des fonctions du juge d'instruction est
en partie corrigée par la création du juge des libertés et de la détention
et le renforcement des droits de la défense. En partie seulement, car
l'affaire d'Outreau a montré que le juge des libertés avait des difficultés
à exercer un véritable contrôle, alors que la durée moyenne de l'instruction
avait doublé entre 1990 et 2008. Une loi de 2007 tente de résoudre le
problème en créant une collégialité mais, pour des raisons budgétaires, elle
a été reportée à une échéance plus lointaine (2010, puis 2011). En
attendant, un décret permet la mise en place de pôles de l'instruction et
l'élargissement de la cosaisine (conduite des dossiers difficiles par deux
juges), mais la marginalisation du juge d'instruction se poursuit.
Pendant la même période, les pouvoirs du parquet se sont considérablement
développés, aggravant - c'est le deuxième constat - la confusion des
pouvoirs, car le parquet joue tantôt le rôle d'un juge d'instruction,
tantôt, par le jeu des "alternatives aux poursuites" et des procédures
simplifiées, celui d'une quasi-juridiction de jugement. Ses pouvoirs
d'enquête sont facilités par la possibilité, sans passer par le juge
d'instruction, de demander directement au juge des libertés d'autoriser des
mesures coercitives (perquisitions, accès aux systèmes informatiques,
interceptions de sécurité, etc.). Et la création de bureaux des enquêtes
dans les différents parquets, sur le modèle mis en place auprès du tribunal
de Paris, favorise la prise en main de l'instruction par le parquet, mais
une instruction sans avocat, nous ramenant ainsi à la situation antérieure à
la loi de 1897.
En même temps, le parquet reste l'organe qui décide des poursuites et peut
classer une affaire sans suite, non seulement parce que l'infraction n'est
pas constituée, mais encore pour raisons d'opportunité. La contrepartie
traditionnelle du classement en opportunité était la constitution de partie
civile de la victime auprès du juge d'instruction, mais la victime, depuis
2007, doit s'adresser d'abord au parquet. D'ailleurs, en matière de crimes
internationaux, le projet de loi adaptant le droit français au statut de la
Cour pénale internationale (CPI), dans la version votée en 2008 par le
Sénat, réserve le monopole des poursuites au parquet.
En outre, le développement des "alternatives aux poursuites" permet au
parquet de se substituer à la juridiction de jugement : d'abord, avec la
médiation pénale, qui est une sorte de classement sous condition, puis avec
la "composition pénale", qui permet au procureur de proposer à une personne,
qui reconnaît avoir commis un délit ou une contravention, une amende ou
autres mesures alternative à l'emprisonnement. Elle suppose l'acceptation de
l'intéressé, le cas échéant de la victime, et doit être validée par le
président du tribunal, mais il n'en reste pas moins que le parquet joue, là
encore, un rôle nouveau et en pratique souvent déterminant.
Enfin la grande innovation (loi 2004) sera la "comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité". Très proche de la procédure
anglo-américaine du "plaider coupable" et de son prolongement sous la forme
de négociation (plea bargaining, littéralement "marchandage sur le
plaidoyer"), elle repose sur un accord entre le délinquant et le procureur
sur les faits ainsi que sur la peine, y compris l'emprisonnement. L'accord
doit être homologué par un juge, mais c'est le procureur qui recueille les
déclarations par lesquelles l'intéressé reconnaît les faits et qui détermine
la nature et la mesure de la peine. Or il est proposé d'appliquer cette
procédure simplifiée à tous les délits, quelle que soit la peine encourue
(rapport Guinchard) et il serait même envisagé de l'adapter aussi aux crimes
(comité Léger).
D'où le troisième constat : malgré cette extension de ses pouvoirs, les
garanties statutaires du parquet n'ont guère progressé, par rapport aux
propositions faites en 1990 pour renforcer l'impartialité et l'indépendance
de l'action publique. Et les pratiques ont plutôt régressé, qu'il s'agisse
de la politique pénale ou des garanties statutaires. Une politique pénale
impartiale devrait se limiter à des directives générales, à l'exclusion des
instructions dans des affaires particulières, même écrites et versées au
dossier. Plusieurs ministres avaient d'ailleurs, pour un temps, renoncé à ce
type d'instruction, dont l'interdiction fut même annoncée. Mais la pratique
a repris, confirmée par la loi de 2004, qui rappelle que le ministre peut
enjoindre au parquet d'engager ou de faire engager les poursuites, ou de
saisir la juridiction de jugement de "telles réquisitions écrites que le
ministre juge opportunes".
Quant à l'indépendance, elle relève des conditions statutaires de carrière :
le projet de loi constitutionnelle, adopté par le Parlement en 1999, avait
prévu une procédure de nomination des magistrats du parquet sur avis
conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), mais il n'a jamais
été soumis au Congrès, et le pouvoir disciplinaire continue à être exercé
par le ministre de la justice. Certes la loi constitutionnelle de 2008
prévoit que la formation du CSM compétente pour le parquet sera désormais
consultée sur toutes les propositions de nomination, y compris celles des
procureurs généraux, mais elle se contente d'un avis simple. Or, dans la
majorité des cas, l'avis négatif du CSM n'est pas respecté : ainsi en 2006,
sur 10 avis défavorables, 9 n'ont pas été suivis (en 2007, sur 14 avis
défavorables, 9 n'ont pas été suivis).
Le contraste n'en est que plus frappant avec le droit international, qui a
évolué en sens inverse et, malgré la diversité des statuts du parquet d'un
pays à l'autre, tend au renforcement des garanties d'indépendance du
parquet.
La Cour européenne des droits de l'homme avait déjà souligné, à propos de la
Roumanie, que les procureurs, agissant en qualité de magistrats subordonnés
d'abord au procureur général, puis au ministre de la justice, "ne
remplissaient pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif". Elle
vient d'appliquer ces principes à la France dans l'affaire Medvedyev (jugée
le 10 juillet 2008, mais renvoyée devant la Grande Chambre) : "Force est de
constater que le procureur de la République n'est pas une "autorité
judiciaire" au sens que la jurisprudence de la cour donne à cette notion :
comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier
l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi
qualifié."
Dans le cadre de l'Union européenne, la création d'un procureur européen a
été inscrite dans le projet de traité constitutionnel, puis dans le traité
de Lisbonne, à partir de propositions qui posaient le principe d'un
procureur indépendant, tant à l'égard des autorités nationales que des
organes communautaires. A l'échelle mondiale, les statuts des Tribunaux
pénaux internationaux (ex-Yougoslavie et Rwanda), comme celui de la Cour
pénale internationale, prévoient l'indépendance des procureurs qui " ne
sollicitent ni n'acceptent d'instruction d'aucune source extérieure".
Une réforme d'ensemble est donc plus que jamais nécessaire, mais ce serait
une erreur de faire de la suppression du juge d'instruction la mesure phare,
alors que le plus urgent est de rééquilibrer les pouvoirs : entre l'exécutif
et l'autorité judiciaire (statut du parquet) ; entre le parquet et le siège
(stature du juge) ; enfin entre la justice et les justiciables (droits de la
défense et des victimes). Quelles que soient les variantes possibles, la
réforme devrait par conséquent respecter quatre conditions prioritaires.
1 - Le statut du parquet : compte tenu de l'accroissement des pouvoirs du
parquet, il est urgent, en toute hypothèse, de renforcer les garanties
d'indépendance et d'impartialité. A fortiori si le comité Léger devait
conclure à la suppression du juge d'instruction et à l'extension de la
procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Une première garantie consiste à redéfinir la notion de politique pénale. Il
ne s'agit pas de renoncer au principe selon lequel cette politique relève du
gouvernement, mais au contraire de la rendre plus lisible en renouant avec
la tradition des grandes circulaires qui ne sont pas la simple paraphrase
des lois nouvelles mais se fondent sur des évaluations, quantitatives et
qualitatives, indiquent les objectifs à moyen et long termes, évitant de
répondre à chaque fait divers par une loi nouvelle. Il serait nécessaire
aussi d'organiser, sur le modèle proposé en 1999, un débat annuel au
Parlement, précisément pour annoncer les objectifs, évaluer les résultats et
faire comprendre une politique parfois difficile à suivre (comme, par
exemple, l'accumulation de textes en matière de récidive depuis la loi de
2005).
En revanche, les injonctions dans des affaires particulières devraient être
explicitement exclues, ce qui n'empêcherait pas le gouvernement de faire
connaître son point de vue dans les quelques rares affaires dites sensibles
: au lieu de placer le parquet dans la situation délicate de prendre des
réquisitions écrites sur ordre, tout en retrouvant, en principe, la liberté
de parole à l'audience, la solution, bien rodée devant le Conseil d'Etat,
pourrait être de faire appel à un avocat qui défende ouvertement devant le
juge le point de vue du gouvernement. Quant aux garanties statutaires du
parquet, elles seraient renforcées par le transfert au CSM du pouvoir de
décider de la carrière des procureurs et d'exercer le cas échéant un
contrôle disciplinaire.
Il est vrai que cette réforme soulignerait la proximité entre les magistrats
du parquet et ceux du siège, confirmant la vision constitutionnelle d'un
corps unique, alors que certaines voix s'élèvent en faveur de la séparation
en deux corps distincts. Mais l'appartenance du parquet à un corps unique de
magistrats est une garantie dans la relation avec la police, comme le
confirme le constat que, dans les pays de Common Law, où la séparation est
beaucoup plus forte, la police est largement autonome. Mieux vaut maintenir
un corps unique et renforcer le contrôle du parquet sur la police.
2 - La stature du juge : si l'on supprime le juge d'instruction en créant un
nouveau "juge de l'enquête et des libertés", qui serait supposé contrôler
l'enquête du parquet, il est indispensable que ce juge puisse jouer
effectivement son rôle. Comme l'a écrit Geneviève Giudicelli-Delage, il faut
trouver la "bonne distance", car placé trop près, le juge est aveuglé, mais
trop loin il devient aveugle.
Les difficultés auxquelles se heurtent déjà les juges des libertés montrent
qu'il faudrait renforcer les moyens matériels par la création de postes en
nombre suffisant pour que chaque juge, n'ayant à suivre qu'un nombre limité
d'affaires, puisse prendre ses décisions en connaissance de cause. Et des
postes situés à un niveau assez haut pour que ces juges puissent avoir
autorité sur le procureur. Egalement renforcer les moyens juridiques pour
que le juge puisse intervenir, non par intermittence, mais tout au long de
l'enquête, afin de trancher les différends entre parquet et défense. Et
notamment contrôler le choix entre les deux régimes d'enquête que le comité
Léger proposerait de créer. Enfin, en cas de dysfonctionnement grave, le
juge devrait pouvoir demander à la juridiction d'appel le dessaisissement du
parquet.
3 - La défense : essentiels à la sauvegarde de la présomption d'innocence,
les droits de la défense devraient être renforcés et étendus à l'ensemble
des procédures, qu'il s'agisse de demander des actes d'investigation, de
soulever des nullités devant le juge, de faire appel dans les mêmes
conditions que le parquet, ou d'intervenir à la clôture de l'enquête. Une
évolution de l'aide juridictionnelle, d'ailleurs envisagée par le rapport
Darrois, serait donc indispensable, pour ne pas voir s'accroître les
inégalités entre justiciables.
4 - Les victimes : contrairement au système mis en place depuis 2007, la
victime devrait, surtout si le principe de l'opportunité des poursuites
devait être maintenu, pouvoir s'adresser directement au juge pour demander
l'ouverture d'une enquête.
Qu'il s'agisse de l'instruction ou du jugement, l'enjeu n'est pas seulement
technique mais aussi politique. Le souci légitime de simplifier la procédure
et d'accélérer le jugement ne doit pas se traduire par un déplacement des
pouvoirs au détriment des juges dont l'indépendance est garantie par la
Constitution, et au profit d'un parquet qui resterait placé sous les ordres
du ministre de la justice. p
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Universitaire et juriste, est, depuis 2002, professeur au Collège de France
(chaire d'études juridiques comparatives et internationalisation du droit).
Elle est membre de l'Académie des sciences morales et politiques. Elle a
notamment présidé la Commission justice pénale et droits de l'homme
(1988-1990).
Le texte publié ici reprend les principaux extraits de la communication de
Mme Delmas-Marty, lundi 25 mai, devant l'Académie des sciences morales et
politiques.
Mireille Delmas-Marty
Article paru dans l'édition du 26.05.09
terça-feira, 26 de maio de 2009
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